« Tu dois aller avec ce Monsieur, il s'est passé quelque chose de grave. »

Je me rappelais exactement des mots qu’avaient prononcé mon professeur, tout comme je me rappelais parfaitement de la douleur lancinante qui avait éclaté dans ma poitrine et de chaque larme qui avait coulé ce jour-là. En arrivant à l’hôpital, accompagné par un policier qui n’avait pas daigné m’adresser la parole, je me retrouvais en face d’une scène aussi bien surprenante que horrifiante. Mon père était recroquevillé sur lui-même, sa tête était enfouie dans ses mains, et son corps était régulièrement secoué par des sanglots. Jamais avant je ne l'avais vu pleurer. Mon frère, plus jeune de six ans, était prés de lui, il le fixait. Sa bouille d'enfant était marqué par de gros traits humides et son regard traduisait son incompréhension. Je cherchais désespérément les yeux doux et tendre de ma mère, paniqué. Je n'avais certes que onze ans, mais je n'étais pas stupide. J'avais compris et j'avais horriblement mal. Je tournais la tête vers le policier qui m'avait accompagné, j'avais envie qu'il me dise que ce n'était rien de grave et que tout irait bien, même si je savais que ça n'arriverait pas. « C'est maman n'est-ce pas ? Elle est... » Je n'avais pas pu terminer ma phrase, je ne voulais pas que ce cauchemar devienne réalité. Mais le flic qui jusqu'ici n'avait pas ouvert la bouche, prononça les quelques mots qui allaient écorcher mon coeur à jamais. « Ta maman est partie, elle a rejoint les anges. » Je voulais crier, hurler de toutes mes forces que ça ne pouvait pas être vrai, que j'avais encore une maman. Mais à la place, je m'étais précipité vers les derniers membres de ma famille et m'étais violemment raccroché à eux. Nous pleurions à présent tous les trois, les uns blottis contre les autres, tous effrayés de devoir affronter la vie sans elle.

« Tu es brillant mais tu gâches ton intelligence, tu me déçois. »

Je fixais mon père, furieux. Je n'étais pas surpris, ce n'était pas la première fois qu'il me servait ce genre de reproche. Pour dire vrai, j'en mangeais presque tous les jours, c'était barbant. « Je m'en fiche, c'est ce que j'aime et c'est ce que je ferais de ma vie. Que tu sois d'accord ou non. » Mon ton était dur, ferme. Mon père savait parfaitement que je ne plaisantais pas, il savait très bien que je pensais chacun des mots qui sortaient de ma bouche. « Je sais très bien que tu aimerais autre chose pour moi, mais j'aime dessiné, j'aime peindre, j'aime faire des photos. Je veux passer ma vie à faire ce que j'aime et pas ce que toi tu veux que je fasse. » Je ne quittais à présent plus mon père des yeux. C'était la première fois que j'exprimais mes réelles intentions, ma véritable envie aussi clairement. J'avais commencé à exercer mes arts depuis cinq bonnes années. Cela avait été un exécutoire, une façon d'évacuer tous les sentiments que j'avais enfoui après le décès de ma mère. Rapidement, c'était devenu une addiction, un plaisir. J'aimais dessiner et peintre à partir de ma mémoire, j'aimais photographier les moments que l’œil ne pouvait pas percevoir. J'aimais l'art et je voulais être un artiste, c'était tout ce que je voulais. Et je savais que mon père finirait par l’accepter tout simplement parce que ça me rendait heureux.

« Je suis vraiment content que tu sois de retour, tu m'as vraiment manqué petit con. »

Un sourire large et sincère s'étendit sur mon visage alors que j'enlaçai mon meilleur ami. Je venais tout récupérer mes bagages, l'aéroport était bondé, mais déjà je me sentais comme chez moi. Je me séparais de l'étreinte chaleureuse de mon ami après quelques secondes et l'observais de la tête au pied, prenant chaque détail en considération. Cela faisait huit mois que je ne l'avais pas vu en chair et en os. Cela faisait huit mois que j'avais quitté la ville dont j'étais tombé amoureux, Paris. C'étais la dernière fois. Absolument tout m'avait manqué, aussi bien le bruit des voitures, que les tonnes de pigeons. Mais surtout, ce qui m'avait le plus manqué, c'était l'homme devant moi : mon meilleur ami, et l'un des seuls, Jaxen. Lui et moi avions le même âge, nous nous étions rencontré lors d'une soirée organisée par un de nos ami commun dont nous n'avions plus de nouvelles aujourd'hui. Nous nous étions tout de suite bien entendu, peut-être parce que nous étions vraiment différent l'un de l'autre. Et à présent quatre ans après notre premier verre ensemble, c'était lui qui m'attendait pour qu'enfin je rentre chez moi. « Tu m'as manqué aussi Jax ! »

« Rejoins-moi, je t'en supplie, j'ai besoin de toi, j'ai besoin de mon frère. »

C'était le message que mon frère avait laissé sur mon répondeur. Ce message me faisait peur. Nos emplois respectifs nous avaient gardé éloignés. Je n'avais pas vu mon frère depuis la mort de notre père, il y a deux ans. La dernière fois que je lui avais parlé, tout semblait parfait : il allait bien et il semblait heureux. Mais ce message venait de tout remettre en question, j'étais réellement inquiet. Je décidai donc de faire la chose qu'il me demandait, je décidai de le rejoindre. Il avait quitté notre Angleterre natale pour étudier aux Etats-Unis et il était devenu journaliste. Il exerçait sa profession dans une ville que je ne connaissais pas, Sunrise Paradise; c'était ma destination. Je pensais au départ ne rester là-bas que temporairement. Dans ma tête tout était clair : j'aidais mon frère et je reprenais le cours de ma vie à Paris. Mais rien ne s'était passé comme je l'entendais. Les problèmes de mon frère étaient plus grave que je ne le pensais : en l'espace de quelques années, il était devenu accro à toutes sortes de médicaments et autres drogues. Quand je l'ai retrouvé, il n'était plus le même, il était rongé de l'intérieur. Et même si après quelques temps passé avec lui il semblait aller mieux, il n'était toujours pas remis. C'est pourquoi j'avais décidé de rester à Sunrise Paradise, de m'installer à Little Paris et d'essayer de vivre ma vie normalement.